Analyse de Mes grands parents, mes parents et moi de Frida Khalo
Artiste d?origine mexicaine et allemande, frapp?e de la poliomy?lite dans son enfance, elle se mit ? peindre ? la suite d?un accident qui la cloua au lit ? l??ge de 18 ans et qui aura des cons?quences sur le reste de sa vie. Le 17 septembre 1925, en effet, l?autobus qui la ram?ne de son ?cole d?art percute un tramway ; une barre de fer la transperce, brisant sa colonne vert?brale et ses jambes. Elle doit passer de longs mois sur un lit d?h?pital et porter un corset.
Elle passera dor?navant une grande partie de sa vie couch?e et se fera installer un miroir au-dessus de son lit pour pouvoir se peindre. Op?r?e ? de nombreuses reprises, elle pourra remarcher au prix de grandes souffrances.
Rendue c?l?bre par sa peinture, elle ?pouse le peintre Diego Ribera, s?engage pour la libert? des femmes et pour le parti communiste.
Sa maison natale, ? La Maison Bleue ?, a ?t? transform?e en un mus?e consacr? ? son ?uvre.
ANALYSE DU TABLEAU
Une famille
Ce tableau repr?sente une petite fille plac?e devant son p?re - le peintre enfant comme l?indique le titre du tableau - et sa famille : ses parents qui occupent l?espace central et les grands-parents maternels et paternels ? l?arri?re-plan, en haut, ? gauche et ? droite.
On d?couvre le visage des grands-parents ainsi que quelques d?tails vestimentaires qui permettent de les situer dans une ?poque et dans un milieu, sans faire r?f?rence ? un ?v?nement pr?cis.
Les grands-parents paternels de l?artiste sont d?origine allemande. Le grand-p?re est tr?s blond, a des yeux bleus. Il porte des favoris tr?s fournis et une moustache ? la mode europ?enne de son ?poque. Sa femme a les cheveux tr?s bruns, coiff?s en bandeaux. Tous deux semblent appartenir ? un milieu bourgeois. Ils sont associ?s ? un paysage maritime qui symbolise la mer et leur lointaine origine europ?enne.
Les grands-parents maternels sont d?origine mexicaine. Leurs traits ?voquent ceux des Indiens. La femme porte des boucles d?oreilles fantaisie et ses cheveux noirs sont coiff?s avec une frange constitu?e de bouclettes. Son mari a une barbiche effil?e et une moustache noire ? la forme retombante. Il porte une cravate rouge, diff?rente du n?ud papillon du grand-p?re allemand. Sous eux, on voit un paysage d?sertique et vallonn?, puis, au premier plan, ? gauche, des cactus dont certains sont en fleurs.
Quant aux parents, on voit davantage les d?tails de leurs v?tements qui ?voquent le jour de leur mariage comme le prouvent la robe blanche de sa m?re, sa couronne de fleurs et les fleurs qu?elle porte sur la gauche de son corsage. La robe de mari?e permet de souligner la finesse de la taille de la m?re et la pr?sence d?un f?tus dans son ventre alors que seul le buste du p?re est peint. L?artiste a d?ailleurs repr?sent? ses parents d?apr?s une photographie prise le jour de leur mariage, alors que sa m?re ?tait enceinte.
Frida se repr?sente ? deux moments de sa vie : alors qu?elle n??tait qu?un f?tus, un ?tre d?j? bien d?velopp?, prot?g? par le ventre de sa m?re et reli? ? elle par le cordon ombilical ; puis petite fille dont la nudit? rappelle le lien avec l??tat f?tal et originel. Ce portrait en pied, le seul du tableau, permet de repr?senter ses jambes et, en particulier, sa jambe gauche, entour?e par une sorte de feuillage provenant d?un petit arbuste fleuri. L?attitude de l?enfant est droite et assur?e sur ses jambes. Enfin, elle ?tablit un lien avec sa grand-m?re paternelle qui lui a l?gu? une particularit? physique : ses sourcils joints.
L?enfant tient fermement dans sa main un ruban rouge qui la relie ? ses grands-parents. Cet objet organise la toile en liant entre eux les deux ?l?ments principaux autour desquels est compos? le tableau : la m?re ? gauche et le p?re ? droite. Il cr?e aussi une dynamique ascensionnelle en montant vers les figures des grands-parents situ?s dans le ciel. Il dessine m?me une sorte de c?ur partiellement esquiss? quand il souligne les deux couples les plus ?g?s.
Frida enfant se peint dans le lieu embl?matique de son enfance et de sa vie d?adulte : ? la Maison bleue?. Elle se trouve au centre de la cour int?rieure. Elle est plus grande que la maison, cr?ant ainsi un espace r?el et un espace imaginaire.
Une repr?sentation symbolique
Frida est bien camp?e sur ses jambes malgr? sa poliomy?lite, ?voqu?e d?une fa?on tr?s d?tourn?e par l?amincissement de sa jambe gauche, tuteur d'un arbuste. L?artiste a transform? l?exp?rience physique douloureuse en un ?l?ment po?tique qui la relie ? la terre.
Le ruban rouge qu'elle tient fermement est rouge comme le cordon ombilical. ? cause de sa couleur, il rappelle qu?? l?origine de toute vie, il y a le sang. Il forme aussi un n?ud qui symbolise l?attachement de Frida ? sa famille et rappelle ainsi les liens g?n?tiques qui existent entre tous les personnages.
On peut ?galement remarquer que la m?re est plus grande que le p?re, qu?elle a un geste protecteur envers son ?poux, ce qui donne l?impression d?une figure maternelle dominante, mais aimante. Les th?mes de la naissance et de la f?condit? sont d'ailleurs symbolis?s par plusieurs ?l?ments : en bas ? gauche du tableau, sous le f?tus, un ovule que des spermatozo?des viennent f?conder ainsi qu?une fleur d?o? s??chappe le pollen porteur de vie. La vie humaine est ainsi, encore une fois, associ?e ? celle de la nature.
L?importance accord?e aux fen?tres de la "maison bleue" souligne l?ouverture sur le monde, mais les murs bien ?pais, la forme de la maison et ses lignes droites semblent aussi un rempart protecteur qui int?gre en son milieu une nature verdoyante : ce lieu de l?enfance est celui du bonheur d?o? il faut sortir. En grandissant, l?enfant doit apprendre ? le quitter.
Ce qu'a d? faire le p?re de Frida en venant du pays situ? au-del? des mers et l?artiste donne une dimension mythique ? ce voyage fait par le p?re pour arriver jusqu'au Mexique dont le cactus est un des ?l?ments du drapeau national. Les grands-parents maternels appartiennent ? la terre natale symbolis?e par ces cactus.
Par ses origines, Frida symbolise ainsi l?union du nouveau monde et de l?ancien, l?union de la terre et de la mer.
Enfin, les quatre grands-parents sont situ?s dans le ciel, symbole de leur repos ?ternel au paradis...
Une ?uvre autobiographique
Il s?agit bien d?un arbre g?n?alogique ? cause de la structure du tableau et du n?ud rouge qui remplace l?arbre traditionnel et ses ramifications et qui montre la filiation entre les diff?rentes personnes d?une m?me famille. C?est l?histoire des origines d?une famille qui est racont?e, l?origine de l?artiste. Les quatre grands-parents apparaissent m?me comme des figures de m?daillon rempla?ant de fa?on imag?e les noms et les dates de naissance et de mort.
On peut dire que ce tableau est autobiographique ? cause du titre et en particulier ? cause de l?emploi de la premi?re personne sous la forme du d?terminant possessif "mes" et du pronom tonique "moi". Le para texte donne aussi des indications biographiques qui confirment cette analyse.
Comme toute ?uvre autobiographique, ce tableau raconte le pass? de l?artiste en ?tant fid?le ? la r?alit? mais tout en reconstruisant ce pass? : il pr?sente l?artiste comme l?enfant de l?amour et du mariage, le symbole de ce Mexique o? le m?tissage est une r?ussite. Se d?gage de ce tableau l?impression d?une famille unie bien que constitu?e d??tres d?origines diff?rentes. L?image des couples est forte comme celle des individus, droits et dignes. La petite fille est fondue dans cet univers.
L?artiste rend ainsi hommage ? la famille qui lui a donn? la vie.
POUR ALLER PLUS LOIN
L?autoportrait : un genre pictural et un univers personnel
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Le terme ? autoportrait ? est form? des mots ? auto ? (soi-m?me) et ? portrait ? (image donn?e d?une personne). Un autoportrait est donc le portrait d?une personne par elle-m?me, d?un artiste par lui-m?me, quelle que soit la forme que prend celui-ci (photographie, peinture, dessin?).
Il ?tait impossible, avant l?invention du miroir, de peindre un autoportrait ? moins de se servir d?une surface d?eau immobile permettant de voir son propre reflet. Le regard des peintres est dirig? vers l?observateur de la peinture. Cela signifie qu?au moment de la r?alisation, le miroir ?tait dirig? vers le mod?le, c?est-?-dire vers le peintre en train de se peindre.
Le d?veloppement de l?autoportrait peint est contemporain du d?veloppement de l?autobiographie litt?raire pour la simple raison que ce sont les m?mes conditions qui ont permis l??mergence du ? je ? aussi bien en litt?rature qu?en peinture.
La peinture fut l?g?rement en avance, avec D?rer, Le Titien, Le Caravage, qui se sont repr?sent?s aux environs du XVIe si?cle, m?me si la fin du Moyen ?ge a vu l??mergence du genre gr?ce, pr?cis?ment, ? l?invention du miroir qui a sans doute inspir? l?esprit inventif de certains artistes et ? la naissance, en Italie, de l?Humanisme.
L?autoportrait permet avant tout au peintre d?exercer son art. Gr?ce ? ce type d??uvres, il peut se passer de mod?le, s?entra?ner, exprimer ses sentiments du moment. Frida Kahlo, ?videmment,n?a eu, compte tenu de son ?tat de sant?, que cette possibilit?-l? pour faire de la peinture. Pour le public, l?autoportrait permet de ? rencontrer ? le peintre tout en contemplant sa peinture et de toucher d?un peu plus pr?s une partie de sa personnalit?. Il est int?ressant de voir comment il s?est mis en sc?ne, comment il s?est vu et comment il voulait qu?on le voie.
En observant les autoportraits, on se rend compte qu?ils sont ? la fois ressemblants et significatifs du style du peintre. Chaque tableau peut ?tre int?gr? ? l?ensemble des ?uvres r?alis?es par leur auteur, pour peu qu?on ait quelques connaissances en peinture.
Cela signifie que le sujet ne l?a pas emport? sur le style mais lui a ?t? associ?. On reconna?t les peintres, on reconna?t les peintures.
Un autoportrait peint est l??quivalent d?un portrait ?crit sur deux points :
? tout d?abord, le peintre est le personnage principal du tableau ;
? ensuite les enjeux sont identiques : faire revivre un moment, se conna?tre soi-m?me, t?moigner?
La diff?rence r?side sans doute dans le fait qu?on ne peut parler de ? pacte autobiographique ?. La sinc?rit? doit, s?il le faut, s?effacer devant la libert? du peintre qui reste la condition sine qua non de l?existence de l?art.
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