Essais de Pédagogie Institutionnelle


Compte rendu de lecture et ses prolongements

Essais de Pédagogie Institutionnelle de René LAFFITTE et le groupe VPI(1)
ou « La nécessaire clairvoyance des taupes» (Jean Oury, psychanalyste)
Sous-titré : L’école, un lieu de recours possible pour l’enfant et ses parents
Édité chez Champ social Editions, Collection Psychothérapie institutionnelle


L’auteur, instituteur spécialisé, et son groupe de travail montre comment l’école maternelle et élémentaire peut devenir un « lieu de recours possible pour l’enfant et ses parents » à travers douze monographies centrées sur des cas d’écoliers en plus ou moins grande difficulté d’apprentissage et/ou de comportement.


Cœur de l’ouvrage, ces monographies sont donc des œuvres collectives.
D’abord prise de notes solitaire d’un enseignant, la lecture par ses pairs et une mise au point collégiale permettent d’élaborer un écrit réflexif sur la pratique de la Pédagogique Institutionnelle (PI) et même d’en proposer une théorisation.
Marguerite Bialas, enseignante à Strasbourg et membre du groupe VIP, souligne à ce propos que :
« Cet échange avec des pairs, ce travail d’élaboration autour du texte présenté va permettre à l’auteur de prendre de la distance avec la classe qu’il décrit, avec son vécu, et éventuellement d’en comprendre plus que ce qu’il ressent spontanément.».
http://ibrem.pagesperso-orange.fr/monographies/a_propos_monographies.htm

Cet essai s’ouvre par un avant-propos, sous titré Généralités sur des non évidences, lequel fonde l’origine et les objectifs de la PI.
Il est suivi d’une ouverture, sous titré Accueillir l’enfant au-delà de l’élève, dont la monographie pose le cadre de réflexion du groupe VIP.
Puis la première partie, sous titrée Le dit, le dire et le générationnel, décrit au travers de cinq monographies des situations de travail coopératif avec les parents d’élèves en difficulté d’apprentissage.
La deuxième partie, sous titrée Les « 4L » : Lieu, Limite, Loi, Langage, développent six monographies illustrant des situations de résolution de conflit avec des élèves en grande détresse comportementale.
La troisième partie, sous titrée Émergences, expose une situation-problème vécue en mathématiques puis un condensé du vécu institutionnel d’un enfant du stade de nourrisson à celui d’élève de grande section de maternelle.
La conclusion s’appuie sur deux Annexes, sous titrées Nécessaire clairvoyance des taupes, qui se focalisent sur le Redoublement, le Faire travailler et l’Intégration des élèves en situation de handicap.

L’exergue de l’avant-propos, « Ne rien dire que nous n’ayons fait.», (Fernand Oury, instituteur spécialisé, frère de Jean), définit la problématique de la PI : son savoir faire l’école est-il transmissible ?

Entre l’école d’il y a 50ans, « école-caserne» fondée sur le respect de la discipline et l’école d’aujourd’hui, « école-floue» fondée sur le respect de la citoyenneté, force est de constater que ces deux réalités éducatives ont le même manque : celui de la Loi, au sens anthropologique et psychologique du terme, limite symbolique entre soi et autrui, qui interdit l’inceste comme le meurtre.
La PI propose donc une « école-mitoyenne», fondée sur une loi qui « se transmet, sépare, permet l’émergence du sujet et la permanence du désir», désir de vivre, de grandir et d’apprendre à parler, à lire, à écrire et à compter. Et ce, pour tous types d’élève : « l’indifférent» comme « le consommateur», « l’assagi» comme le soi disant « hyperactif», hyper agité plutôt, réunis au sein d’un groupe-classe qui va devenir une « machine-classe» grâce à un dispositif éducatif complexe.

Ce dispositif, Fernand Oury le symbolise par un « trépied» reposant sur

1. les techniques Freinet, qui donnent du sens aux apprentissages scolaires:
- édition d’un journal scolaire composé de textes libres, choisis et mis au point par la classe, historiquement imprimés, à présent numérisés, fondant l’apprentissage de la langue ;
- correspondance scolaire, individuelle et collective facilitant l’ouverture sur le monde et sur l’autre ;
- réalisation d’albums collectifs à partir de sorties-enquêtes, permettant l’élaboration d’une documentation ;
- calcul vivant ou situations-problèmes vécues fondant l’apprentissage des outils mathématiques ;
- découverte de techniques d’expression libre (arts plastiques, musique, théâtre, etc.) développant l’éveil ;
- travail individualisé sur fichier autocorrectif permettant une pédagogie différenciée.

2. le groupe social et l’influence de sa dynamique sur les réalisations de la classe, les apprentissages et l’évolution des enfants. Les repères sont donnés lorsque statuts, rôles et fonctions de chacun sont précisés par les institutions :
- les métiers ou responsabilités individuelles ;
- la monnaie intérieure ou comment susciter le désir d’apprendre et/ou de grandir;
- les ceintures de compétences matérialisées par des couleurs calquées sur les ceintures de judo, généralement graduées en rose puis blanc en Maternelle, jaune puis orange en CP, vert clair puis vert foncé en CE1, bleu clair puis bleu foncé en CE2, marron en CM1, noir en CM2 ;
- les ceintures de comportement matérialisé par le même système de couleurs.
Plus une ceinture est faible et moins l'enfant possède de droits et de devoirs. Plus elle est élevée, et plus l'enfant possède de droits et de devoirs. Les sanctions en cas de transgression du la loi sont de plus en plus importantes en fonction de la ceinture.
Généralement, la ceinture blanche est attribuée à un élève ordinaire, qui dérange encore le travail des autres ; la jaune, à celui qui fait des efforts pour effectuer son travail sans déranger les autres ; l’orange, à celui qui ne dérange pas la classe, mais ne se soucie pas du groupe ; la verte, à celui qui rend des services à la classe ; la bleue, à celui qui pense aux intérêts de la classe avant de penser aux siens ; la marron, à celui qui est en mesure d’être référent pour le fonctionnement de la classe.
Deux ceintures supplémentaires ont été créées pour que des enfants difficiles puissent trouver, malgré leur comportement, une place dans la classe.
C’est d’abord la ceinture dorée du grand gêneur : trop de perturbations, de provocation, d’anxiété, pas ou trop peu de travail. Les déplacements, générateurs de troubles, sont suspendus et l’enseignant prépare au maximum le travail pour les éviter. C’est l’autonomie zéro en classe, on redevient élève ordinaire. Il n’y a ni exclusion ni arrêt des exigences scolaires.
C’est enfin la ceinture rouge de l’élève au comportement dangereux pour lui ou les autres. C’est la dernière extrémité dans la classe coopérative. L’élève est seul à une table, séparée par une frontière matérialisée au sol, ne se déplace plus, ne participe plus au travail coopératif, reste près de l’enseignant lors des récréations et sorties.
Une ceinture obtenue ne peut plus être retirée : les régressions existent, mais sont momentanées. L’élève peut demander à récupérer sa ceinture en en faisant la demande au conseil et en expliquant comment il compte faire pour que les choses se passent mieux.
L’objectif de ces ceintures, en pointant les capacités comme les manques ou le mode de comportement, est donc d’amener l’enfant à grandir et à devenir davantage responsable. Être grand c’est devenir autonome, devenir un moteur pour les autres, devenir porteur des projets du groupe.

3. l’inconscient psychanalytique: celui des enfants, des parents, des enseignants. Il ne reste pas à l’extérieur de l’école et va pouvoir être verbalisé dans des Lieux de parole, à l’instar des thérapies de groupe en psychologie comportementale (cf. les 4L):
- le Quoi de neuf ? offre aux enfants une passerelle entre la maison et l’école pour déclencher des activités autonomes vivantes et des apprentissages autres que langagiers ;
- le Ça va, ça va pas termine ou commence une activité, une journée, par un ressenti ;
- le Conseil (au sens juridique du terme, désigne successivement : l’endroit où l’on délibère, la consultation, la délibération, le bon avis, la sagesse, la prévoyance) doit permettre la naissance d’autres institutions.

Pour plus d’informations, consulter le Glossaire de la TFPI(2) sur Http:tfpiprovence.online.fr/glossaire.htm.

C’est le fonctionnement de ce dispositif complexe qui prend vie dans les monographies exposées : gestion des rencontres parents-enseignant, limitées dans le temps, dans l’espace, balisées dans leur contenu, confidentielles ; fondation de la loi de la confiance « je ne me moque pas, je demande la parole, j’écoute qui parle, je ne répète pas ce que j’entends » ; difficulté à décider de l’attribution d’une ceinture dorée ou rouge, hors toute réaction passionnelle, entre autres illustrations. Et « Ceci dans le plus grand respect de l’inconscient de chacun, inconscient qu’il n’est pas question d’étaler sur la place publique ni même de chercher à voir.», précise Marguerite Bialas (ibidem).

Car le principal écueil de ce dispositif éducatif semble être la dérive psychosociologique : celle de l’enseignant qui se prend pour un « psychologue d’occasion ». À trop vouloir se dégager de la « praxis(3) mortifère » qui réduit la pédagogie à des méthodes d’apprentissages, il en oublie qu’il doit rester un didacticien en adéquation avec la doxa(4) de son temps et ce, quelle que soit l’image surannée ou périlleuse véhiculée encore trop souvent par certains dispositifs de la TFPI comme l’autogestion « génératrice de désordre »; la monnaie intérieure, connotée politiquement; ou bien encore le texte libre, où seule la parole du leader-enseignant ou des leaders-élèves émergerait...

Le principal mérite de cet essai est de poser le cadre d’une nécessaire réflexion sur le rôle de l’enseignant et celui des parents dans l’éducation de leurs élèves-enfants. Peut-être les aidera-t-il à grandir eux-mêmes avant d’essayer de faire grandir les petits d’hommes ?!


Un extrait de la 4ème de couverture:

Dans un milieu scolaire radicalement transformé par des techniques et des institutions, certains problèmes sont résolus en ce sens qu'ils ne se posent plus et de nombreux autres deviennent solubles, en ce sens qu'enfin on les pose.

Nous sommes comme des taupes, à la vision basse, aux oreilles assourdies [...] Préserver cette lueur salvatrice de la précarité [...] le respect des choses précaires: des gestes, des regards, des façons d'être, la marque des pas, le grincement d'une porte, des feuilles qui volent, la pluie, le soleil, l'inutile dans toute sa transcendance.
[...] C'est à partir de ça qu'un monde peut se construire qui ne soit pas cimetière.

Jean Oury, 11 heures du soir à Laborde

Une lecture en prolongement :
Fernand OURY et Aïda VASQUEZ, De la classe coopérative à la Pédagogie Institutionnelle, Matrice, 1970.



1. Groupe VPI : groupe pédagogique de l’Association Vers la Pédagogie Institutionnelle
2. Classe TFPI : classe où sont utilisées les Techniques Freinet et la Pédagogie Institutionnelle
3. doxa : ensemble des opinions communes aux membres d’une société, relatives à un comportement social
4. praxis : activité humaine visant à modifier les rapports sociaux